LITTÉRATURE ANCIENNE et CHANVRE

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 RABELAIS et le PANTAGRUELION (le chanvre)

   La culture du chanvre était dans nos campagnes une exploitation de base pour l’économie rurale. Partout où la nature du sol le permettait, on cultivait le chanvre, et ce jusqu’aux premières décennies du XXe siècle.
 Son importance économique et ses propriétés déterminaient le chanvre à occuper une fonction dans les mythes et les traditions. Lorsque Rabelais écrit le Tiers Livre, vers 1545,  il consacre les derniers chapitres à un éloge  du chanvre : « Comment Pantagruel fait ses préparatifs pour monter sur mer, et de l’herbe nommée Pantagruélion.  « On sème cetuy Pantagruélion à la nouvelle venue des hyrondelles.On le tire de terre lors que les cigales commencent s’enrouer », confirme Rabelais (Tiers Livre XLIX)

EXTRAIT

La racine cuite dans l’eau adoucit les nerfs rétrécis, les articulations contractées, la goutte sclérotique des pieds et la goutte des articulations. Si [vous] voulez guérir promptement une brûlure, soit par l’eau, soit par le feu, appliquez-y du Pantagruelion brut, c’est-à-dire tel qu’il est né de la terre, sans autre préparation ni composition. Et soyez sur vos gardes pour le changer dès que vous le voyez sécher sur la blessure (chanvre médical). Sans elle, les cuisines seraient honteuses, les tables détestables, quoique couvertes de tous les mets exquis, les lits seraient sans délices, quoique garnis en abondance d’or, d’argent, d’ambre, d’ivoire et de porphyre. Sans elle, les meuniers ne pouvaient pas porter le grain au moulin, ni rapporter la farine (farine de chanvre, tourteau de chanvre).   Sans elle que feraient les notaires, les clercs, les secrétaires et les écrivains ? Le noble art de l’imprimerie ne périrait-il pas (papier de chanvre) ?  Comment sonnerait-on les cloches ?  Tous les arbres à laine des Seres, les cotonniers de Tylos dans la mer Persique, les cygnes des Arabes, les vignes de Malte, n’attirent pas autant de monde que cette seule herbe. Couvre les armées contre le froid et la pluie (textile en chanvre), plus certainement commodément qu’autrefois les peaux. Couvre les théâtres et les amphithéâtres contre la chaleur (utilisé en isolation), encercle les bois et les bosquets pour le plaisir des chasseurs (refuge pour la biodiversité), descend dans les eaux douces et marines au profit des pêcheurs ( cordages de chanvre utilisée dans la marine).« 

 Jean de La Fontaine fait référence à la ficelle de chanvre  très résistante qui sert aux chasseurs (lacet) pour piéger les oiseaux 

 

Une Hirondelle en ses voyages
Avait beaucoup appris.
Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-ci prévoyait jusqu’aux moindres orages,
Et devant qu’ils fussent éclos,
Les annonçait aux Matelots.
Il arriva qu’au temps que le chanvre se sème,
Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
« Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons :
Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
Un jour viendra, qui n’est pas loin,
Que ce qu’elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper,
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison :
Gare la cage ou le chaudron !
C’est pourquoi, leur dit l’Hirondelle,
Mangez ce grain; et croyez-moi. « 
Les Oiseaux se moquèrent d’elle :
Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
Quand la chènevière fut verte,
L’Hirondelle leur dit : « Arrachez brin à brin
Ce qu’a produit ce maudit grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.
– Prophète de malheur, babillarde, dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes !
Il nous faudrait mille personnes
Pour éplucher tout ce canton. « 
La chanvre étant tout à fait crue,
L’Hirondelle ajouta : « Ceci ne va pas bien;
Mauvaise graine est tôt venue.
Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu’à leurs blés
Les gens n’étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre ;
Quand reginglettes et réseaux
Attraperont petits Oiseaux,
Ne volez plus de place en place,
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le Canard, la Grue, et la Bécasse.
Mais vous n’êtes pas en état
De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
Ni d’aller chercher d’autres mondes ;
C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr :
C’est de vous renfermer aux trous de quelque mur. « 
Les Oisillons, las de l’entendre,
Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre
Ouvrait la bouche seulement.
Il en prit aux uns comme aux autres :
Maint oisillon se vit esclave retenu

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